«Le Matin a parcouru une route humaine à la fois éphémère et cependant longue. Oeuvre humaine, émaillée de souvenirs, de joies et de deuils, de victoires et déchecs, despoirs et de déceptions. Tout ce qui caractérise une vie dhomme, tout ce qui caractérise aussi ce que lhomme entreprend.»
Ce message en forme de déclaration funèbre résume à merveille lexistence du quotidien anversois. Car celui-ci est vraiment passé par tous les stades de lévolution humaine. Sa naissance, dabord, qui se trouve placée sous le signe de la nouveauté, de loriginalité proclamée par le concept dédition de nuit. Une naissance qui seffectue dans la joie et lallégresse de lExposition universelle dAnvers. Le bébé médiatique du bienheureux papa Camille de Cauwer profite de fait des nouveaux besoins en matière dinformation et de publicité. Il sen abreuve jusquà plus soif, embrassant peu à peu un profil assez joufflu. Dautant plus que le nouveau-né se révèle, dans ce cadre, plutôt insatiable. Libéral jusquau bout des ongles et issu dun milieu bourgeois de bonne famille, il crie aussi son envie de sexprimer en français afin de centraliser à bon escient, sans agressivité, les opinions francophiles de ses semblables.
Lenfance et ladolescence du Matin se déroulent ensuite dans une optique de croissance continue, facilitée par de spectaculaires progrès techniques et par une vision progressiste du journalisme. Linotypes et rotatives viennent garnir les ateliers du journal francophone, lui autorisant un développement matériel quasi sans limites. Mais cette arrivée en force de la machine entraîne également une désillusion morale pour lartisan-typographe, relégué dans un rôle accessoire.
Après la première guerre mondiale pointe alors le moment de la maturité pour Le Matin. Celui-ci a en effet atteint sa plénitude, à la fois au niveau matériel et au niveau idéologique. Garant de la liberté sous toutes ses formes, il possède encore à cette époque une réelle influence politique. Confronté à lindustrialisation de la presse et à la concurrence, il y répond avec bonheur, innovant au gré des désirs des lecteurs et des annonceurs. Mais la feuille préférée des anversois attachés à la langue française subit bientôt sa première désillusion. Car le processus de flamandisation est placé sur les bons rails par des hommes politiques motivés par léternel "compromis à la belge". Dès lors, le compte à rebours commence pour Le Matin, virtuellement condamné à mort par un mal terrible et inguérissable : lunilinguisme régional. Un mal qui le ronge à la base, juste au niveau de son lectorat.
Passé le second coup darrêt obligé par la seconde guerre mondiale, Le Matin constate progressivement son impuissance. Le journal, qui entre dans son "troisième âge", na pas réussi à évoluer vers un statut dorgane de presse national. Il demeure donc un journal provincial désormais limité à une fonction complémentaire par rapport aux grands quotidiens dinformation belges et aux médias audiovisuels. Cette période est celle de la décrépitude pour la gazette francophone : son public est en voie dextinction et les annonceurs publicitaires, conscients de ce fait, la délaissent. Le Matin se lance dans des alliances économiques de la dernière chance avec le groupe de Launoit ou avec dautres journaux francophones de Flandre en mauvaise posture. Malgré tout, il se réserve déjà une concession pas trop chère au cimetière de la presse.
Le Matin finit ses jours dans lhospice du groupe Rossel et Cie. Là, il bénéficie dans un premier temps de bons traitements financiers. Pourtant, la souffrance du quotidien anversois se montre trop importante. Leuthanasie reste ainsi la seule solution pour cette publication non viable puisquelle na plus guère de public !
En définitive, on peut dire que Le Matin a été un témoin assez actif de lévolution de la minorité francophone anversoise. Il est né sous le signe du conflit linguistique, grâce à la présence de cette minorité. Il est aussi mort du conflit linguistique, suite à lintégration réussie de cette minorité à la culture et la langue flamandes.