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||| Le Matin d'Anvers : VI. De la difficulté de rester autonome (1944-1966) |||

Le Matin d'Anvers

Table des matières


VI.1. Une envergure nationale ?

Signalons d’abord que, en ce qui concerne les cadres du Matin, la mort tragique de Félix de Roy sous l’occupation précipite, au lendemain de la guerre, la nomination de Willy Koninckx au poste de rédacteur en chef. Il occupe cette fonction quelques années avant de céder en 1949 sa place à Georges Desguin, jusqu’alors secrétaire-adjoint de la rédaction. Koninckx comme Desguin vont perpétuer cet esprit de liberté individuelle sans cesse défendu par Le Matin depuis sa fondation.

Cependant, dans l’intervalle, un pilier de la Vieille Bourse s’effondre à nouveau. Paul de Cauwer, consciencieux héritier de son père aux commandes du journal, décède en effet en 1949. Le comble, c’est qu’en mars 1949, juste avant sa mort, le capital social du Matin avait été réévalué à la hausse pour passer de cinq à dix millions de francs. Car le journal avait enregistré une plus-value de 5.584.056 francs sur ses actifs immobilisés. Et Paul de Cauwer avait par ailleurs de nouveau grappillé quelques actions pour porter son total personnel à 710 parts (toujours sur deux mille actions). Son décès intervient donc de façon malheureuse, à un moment faste pour l’entreprise et pour lui-même.

Toutefois, la tradition familiale du canard anversois ne trouve pas encore un terme avec cette disparition puisque Gabrielle de Cauwer, la femme du défunt, succède alors à son mari dans le siège de directeur. Il s’ensuit également une redistribution des actions de la S.A.B.E.D.. Gabrielle de Cauwer (née Baelde) en conserve 460 parts, tout comme Simone de Cauwer. Robert Farin garde ses 50 parts. Parmi les actionnaires, on remarque une nouvelle tête : Germaine Baelde, soeur de Gabrielle et épouse contractuellement séparée de biens de Georges Desguin, obtient 50 parts de la société. Le conseil d’administration est composé de Gabrielle de Cauwer (présidente), de Robert Farin et de sa femme Simone. Le secrétaire du conseil se nomme Raymond Van Wesenbeeck, également secrétaire général du Matin.

C’est en 1952 que trépasse à son tour la veuve de Paul de Cauwer. Ce fatal dénouement confère de facto la direction et la présidence du conseil d’administration à Georges Desguin qui a récupéré les actions de Gabrielle de Cauwer. Desguin, désormais porteur d’une double casquette, restera toujours atteint par le virus du journalisme : il prolongera donc parfaitement la légende de ses prédécesseurs jusqu’en 1970, au crépuscule du Matin.

Sur le plan de la stratégie économique, Le Matin entend poursuivre la construction de son identité nationale déjà entamée dans les années trente, à un moment où la conjoncture le permettait encore. Dès la Libération, le journal cher aux francophones anversois d’inclination libérale se proclame ainsi symboliquement "quotidien d’union nationale", sans renier bien sûr ses prédispositions politiques. Le choix de ce nouveau sous-titre, au demeurant grandiloquent, engendre pourtant une impression ambivalente. On peut y dénicher l’expression d’une réelle volonté métaphorique d’accalmie politique et linguistique. On peut aussi y trouver la manifestation d’un opportunisme commercial, car la devise "l’Union fait la Force" et les autres valeurs patriotiques à la mode font vendre. Elles sont en ce temps-là fort prisées d’une population meurtrie par les atrocités du conflit.

Toutefois, cette ambition manifestée par Le Matin de se transformer en un publication d’envergure nationale n’est plus viable, ni même accessible ! En effet, on constate à cette époque qu’un nombre décroissant de médias écrits forment effectivement l’opinion publique. Or, l’évolution linguistique fait que les libéraux doctrinaires francophones d’Anvers n’ont plus beaucoup voix au chapitre, ce qui entraîne une perte d’influence politique du Matin. L’amincissement de son lectorat et de son importance publicitaire constituent, dans ce contexte, d’autres menaces pour sa représentativité.

D’autant que, de plus en plus, on se rend compte que c’est en réalité le public qui modèle son propre journal. Et, dans le cas du quotidien anversois de langue française, les lecteurs recherchent avant tout des nouvelles locales, ou du moins des informations susceptibles de leur procurer un certain service. Ainsi, les programmes de cinéma, la liste des médecins et pharmacies de garde, les chroniques théâtrales, les couvertures d’expositions et de concerts ou encore les petites annonces sont les rubriques les plus prisées. De ce fait, Le Matin (qui ne paraît plus le dimanche depuis sa renaissance lors de la libération d’Anvers) est amené à baisser le niveau de ses prétentions. Avec, pour résultat pratique, une diminution lente mais perceptible de la surface rédactionnelle réservée aux articles de fond, aux correspondances étrangères et aux informations économiques ou de politique intérieure. Les communications locales ou de service, elles, conservent sans problème leur rang.

Par la force des choses, et malgré son apparence devenue au fil des années résolument contemporaine et visuelle, Le Matin aborde une nouvelle fonction : celle de "journal d’appoint". Il est désormais peu à peu réduit à un rôle complémentaire par rapport à d’autres organes médiatiques comme la télévision ou la radio et par rapport aux feuilles (surtout bruxelloises) d’audience nationale, qui négligent très souvent l’information régionale.

Mais cette mission toute neuve qui reste sans doute importante en soi ne justifie plus pour autant la présence du Matin sur le marché de la presse. Il va d’ailleurs bientôt l’apprendre à ses dépens.

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VI.2. Sans appuis financiers, point de salut...

En Flandre ne subsistent après la guerre que deux titres libéraux francophones, Le Matin d’Anvers et La Flandre Libérale de Gand. Mais l’évolution de la presse fixe d’emblée une nouvelle règle de survie qui "condamne désormais impitoyablement les journaux qui ne disposent pas de l’appui d’un groupe financièrement très solide ou d’une position privilégiée sur le marché publicitaire régional". En effet, le développement non négligeable du secteur de l’information entraîne, à cette époque, la multiplication des agences de presse et l’accélération sensible des communications. Les quotidiens puissants sont de plus en plus volumineux, suivant le rythme des exigences des lecteurs. Pour répondre à la concurrence de la radio et de la télévision, les directeurs des grands médias écrits sont souvent forcés de gonfler artificiellement leurs produits par l’insertion de pages spécialisées. Les gazettes prennent de plus en plus des allures de magazines. Toutefois, cette évolution a un prix puisque les frais de fabrication augmentent en conséquence de façon démentielle, au sein d’une conjoncture économique qui reste assez houleuse et difficile. Quant aux salaires du personnel technique et rédactionnel, ils suivent de même une courbe croissante. Le maintien d’un journal qui prétende vivre exclusivement de ses recettes de vente et de publicité, à l’abri de toute intrusion financière ou syndicale, requiert de fait un lectorat beaucoup plus large qu’autrefois. On estime que la viabilité en toute indépendance d’une publication ne réclame pas moins de cinquante mille fidèles. Aussi tout se ramène-t-il finalement à une problématique de diffusion suffisante du média.

Le Matin, lui, voit malheureusement son tirage diminuer : de trente cinq mille exemplaires déclarés par l’éditeur en 1949, on passe à une estimation qui se situe entre vingt et vingt-cinq mille exemplaires en 1958, puis aux environs de vingt mille exemplaires en 1962. Dans ce contexte, et face à ce déficit de lecteurs et de rentrées publicitaires, le salut d’un quotidien d’audience surtout régionale comme Le Matin réside donc dans l’appui d’un groupe financier de poids.

Dès 1956, Le Matin en tire ses conclusions : la tradition doit s’effacer devant la réalité économique. Le quotidien francophone anversois est pris en tutelle par le groupe de presse du comte de Launoit (qui détient d’ores-et-déjà l’ensemble La Meuse - La Lanterne). Celui-ci rachète pour ce faire 90 % des parts de la S.A.B.E.D. (Société Anonyme Belge d’Edition et de Diffusion), l’association éditrice du Matin sise, comme la rédaction, au numéro 29 de la Vieille Bourse.

Par ailleurs, suite à cette prise de contrôle extérieure, on constate que certains des anciens propriétaires (Robert Farin et sa femme, Simone de Cauwer) démissionnent de leurs charges d’administrateurs de la S.A.B.E.D.. Ce qui n’empêche cependant pas le journal francophone le plus lu à Anvers de sauvegarder son "étiquette libérale".

Pourtant, une page de l’histoire du Matin est dorénavant tournée. Car le processus d’inévitable concentration a débuté : la menace d’affaiblissement voire d’étouffement de la presse provinciale d’opinion se précise...

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VI.3. Une alliance contre-nature ?

On l’a observé, la concentration est devenue la norme en matière de santé économique. Et il s’agit d’un fait qui concerne particulièrement les entreprises de presse de petite et moyenne ampleur.

Pour Le Matin et La Flandre Libérale, derniers représentants de la presse libérale francophone en Flandre, le défi est d’autant plus lourd à relever que leur public naturel est de plus en plus restreint, en raison de l’évolution politique de la Belgique. Le tirage du Matin diminue en effet sensiblement, comme celui de La Flandre Libérale (vingt mille exemplaires déclarés par l’éditeur en 1949, une estimation de moins de dix mille en 1962). Afin de tenter de ralentir les énormes pertes encourues par les deux journaux, il existe désormais une seule et unique voie : celle du rapprochement. Un accord technique et rédactionnel est dès lors conclu, sans remords ni regrets, à la date du premier janvier 1960. Par la même occasion, la feuille libérale gantoise intègre également le groupe de presse du comte de Launoit, se ménageant par ce biais un nouveau poids financier. D’autre part, suite à cette alliance indispensable, La Flandre Libérale va déménager en partie. Elle conserve son siège et sa rédaction à Gand mais l’opération d’impression se déroule maintenant à Anvers sur les presses de son confrère libéral. Enfin, en ce qui concerne la substance des deux quotidiens, on remarque que les contenus tendent à une quasi similitude que seules les chroniques locales viennent démentir.

Cette union équivaut en tout cas à un vrai mariage de raison entre deux gazettes aux opinions et aux aspirations très proches. Leur idéologie profondément libérale n’est, dans ce cadre-là, pas encore défigurée. Mais le moment de l’accumulation paradoxale est imminent. Au cours de l’année 1965, une démarche extrême est entreprise dans le but évident de répondre avec force et vigueur à l’exiguïté du marché des quotidiens en Flandre.

Les deux journaux libéraux fusionnent ainsi au sein d’une unique société éditrice, la S.A. Sobeledip (Société belge d’édition, de diffusion et de publicité), en compagnie du seul autre survivant de la presse quotidienne francophone flandrienne, La Métropole. Or, cette publication, foncièrement catholique à la source, était la rivale du Matin depuis sa création !

Dans les grandes lignes, les trois éditions ne font désormais plus qu’une en ce qui concerne l’information "brute", à la notable exception de l’éditorial et des rubriques régionales.

Cet incroyable retournement de situation au profil assez paradoxal, il faut en convenir, survient cependant à un instant propice à sa confection. Car, si la concurrence âpre et courtoise entre Le Matin et La Métropole a longtemps représenté une réalité, elle n’est plus vraiment d’actualité à l’heure de la fondation de Sobeledip. Pour ces deux journaux, il est devenu impératif d’agréger leurs efforts afin de préserver l’essentiel, leur existence. Car une entreprise de presse se révèle, sans cesse davantage, une industrie réclamant de très puissants moyens financiers. Il n’apparaît ainsi pas surprenant que "des organes de presse édités dans une langue qui est celle d’une minorité aient, avant d’autres, compris l’urgence et la nécessité d’une certaine unité d’action en vue de la réalisation d’un certain nombre d’objectifs identiques". D’autant que le tempérament catholique de La Métropole s’est fortement atténué. En effet, le journal lui-même ne se présente plus, à partir de 1960, que sous la seule étiquette de "conservateur". On doit en conséquence relativiser le concept d’alliance contre-nature que l’on serait, de prime abord, tenté d’utiliser pour qualifier cette connexité entre deux quotidiens libéraux et un quotidien catholique.

De toute façon, Le Matin d’Anvers et La Flandre Libérale de Gand démontrent surtout par leur association avec La Métropole que "pour la presse francophone de Flandre, la communauté de destin sur le plan linguistique permet de dépasser les appartenances ou les colorations politiques". La barrière d’origine politique existant entre libéralisme et catholicisme est clairement dépassée, à la fois par l’aspect linguistique du problème et par la recherche d’une viabilité économique au sein d’une conjoncture difficile.

Pour être précis, signalons que Sobeledip, cette nouvelle entité hétéroclite qui brise l’unité politique initiale découlant du rapprochement entre Le Matin et La Flandre Libérale, se voit instituée le deux septembre 1965. Elle regroupe les Nouvelles Presses anversoises (la société éditrice de La Métropole) à concurrence de neuf cent nonante-sept actions, la S.A.B.E.D. à concurrence de neuf cent nonante-huit actions, l’administrateur de La Métropole Jules Velge pour une action, son directeur le baron Michel Van der Straeten Waillet et un des actionnaires, Jean Ackermans, pour une action également chacun et, finalement, Georges Desguin et son épouse à concurrence de deux actions. On distingue alors un savant partage d’influences entre le groupe Velge et le groupe de Launoit. Jules Velge, Jean Ackermans, Paul Mortelmans et le baron Jean de Waha Baronville, directeur de La Lanterne, sont nommés administrateurs. Et la codirection générale de Sobeledip est confiée, comme la responsabilité des rédactions anversoises, au superactif Georges Desguin, qui cumule déjà les fonctions de directeur et de rédacteur en chef du Matin.

En outre, la création de Sobeledip pousse Le Matin à déserter son siège légendaire de la Vieille Bourse pour aller s’installer dans les locaux de La Métropole, au numéro 34 du Lombaardvest.

Par ailleurs, durant le mois de septembre 1965, l’imprimerie du quotidien fondé par Camille de Cauwer est vendue à De Vlijt. Cette transaction implique immédiatement un deuxième paradoxe frappant puisque De Vlijt édite avant tout la Gazet van Antwerpen, qui constitue un des foyers les plus ardents du flamingantisme obtus. Et les trois publications de Sobeledip, attachées depuis toujours à la défense de la minorité francophone et du bilinguisme en Flandre, se retrouvent donc imprimées jusqu’en 1969 au numéro 46 de la Nationalestraat, dans l’"antre du flamingantisme" ! Mais l’entrée en jeu de Rossel et Cie va néanmoins encore bouleverser la donne à ce niveau.

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VI.4. L’anversois francophone face à la flamandisation

Évolution du pourcentage de purs francophones à Anvers :
En 1846 : 1,73 %
En 1910 : 3,42 %
En 1920 : 3,65 %
En 1930 : 4,08 %
En 1947 : 2,98 %
En 1970 : environ 3 %

À ce point de l’histoire du Matin (désormais étroitement liée à celles de La Flandre Libérale et de La Métropole), il est nécessaire de faire aussi le point sur l’attitude de son public, les francophones d’Anvers. Ceux-ci font face à la flamandisation qui se montre irrésistible depuis la mise en application des fameuses lois linguistiques des années trente.

En effet, les couches de la population d’expression française de la métropole ne seront plus estimées, en 1970, qu’à environ 3 % de la population totale de la ville. Les francophones se rendent donc de plus en plus compte que, s’ils veulent garder un rôle actif dans la prestigieuse cité du diamant, ils doivent absolument connaître le néerlandais. Pour ces bourgeois, la flamandisation représente avant tout une question d’opportunisme, de la même manière que la francisation l’a été autrefois. Néanmoins, et la nuance est de taille, ces fransquillons affaiblis et presque au bout du rouleau ne renoncent pas pour autant à leur qualité de francophones. Et, ceci, même si leurs enfants sont par la force des choses (la loi scolaire de 1932) obligés de fréquenter les cours des écoles flamandes. Leur cercle familial et leurs relations privées constituent à cet effet les ultimes espaces sociaux où se cultive toujours la langue française. Une langue française qui leur est transmise depuis des générations et qui a longtemps été adorée en tant que vecteur de privilèges multiples.

La raison de cet attachement qui perdure envers et contre tout apparaît simple, lorsque l’on conçoit que les mots renferment en pratique bien davantage que de simples sonorités. Car, derrière leur apparence conventionnelle, se cache toute une philosophie de la vie formée de traditions, d’un passé, d’aspirations ou d’un certain état de prospérité matérielle. Changer de langue correspond à la renonciation d’une identité ancestrale au profit d’une autre qui n’est pas toujours considérée comme sienne, voire qualifiée d’inférieure. Parce que le langage, expression de la pensée, semble étroitement relié à l’esprit, qu’il peut véritablement façonner. Mais cette situation reste mouvante puisque l’obligation de parler le néerlandais pour conserver son rang à Anvers devient toujours plus criante. Le temps de la barrière linguistique constituant aussi un fossé social est désormais révolu. Le dialogue s’esquisse entre les deux communautés anversoises, mais en flamand !

Malgré tout, Le Matin va régulièrement combattre une certaine idée reçue des flamingants au sujet des francophones de Flandre. Une idée correspondant à "un mythe haineux qui peut se résumer en deux mots : la bourgeoisie francophone a trahi et renié par mépris le peuple flamand en refusant la langue de celui-ci, et en choisissant la langue française". Certains flamands, comme Dirk Wilmars, n’hésitent d’ailleurs pas à fustiger le snobisme des prétentions affichées par les francophones, soucieux de s’assurer un statut spécial, au cours du processus de flamandisation. Pour eux, les fransquillons de Flandre ne remplissent pas les conditions voulues pour être en mesure de revendiquer les droits et la protection accordés à une minorité nationale. En effet, ils ne composent pas "un groupe ethnique homogène avec toute une hiérarchie sociale allant du simple ouvrier illettré aux intellectuels occupant des postes-clés".

Pourtant Le Matin va rester sans relâche sur ses positions, rappelant à chaque fois que l’occasion s’en présente sa propre vérité historique. A savoir celle d’une Flandre au caractère bilingue séculaire et ainsi riche d’une certaine complexité, véritable mosaïque profitable aux niveaux intellectuels et artistiques. Une Flandre où l’unité de la langue flamande n’a pas toujours constitué une réalité et où les circonstances sociales ont dès lors fait de la langue française la langue maternelle des bourgeois.

Le quotidien anversois va aussi sempiternellement stigmatiser l’unilinguisme régional prôné par un mouvement flamand. Celui-là même qui, "avec une rigueur et une persévérance auxquelles il a toujours été rendu justice, a changé la face des choses et, nanti de la force des masses, a exclu toute possibilité de choix pour les minorités".

On le voit, Le Matin, un des derniers porte-parole de la minorité francophone anversoise, accepte donc sans trop de difficultés le renouveau culturel et social flamand. Il ne réclame de fait certes pas un retour à la barrière linguistique et sociale, mais plutôt une liberté individuelle de préférence sur le plan linguistique dans les provinces flamandes. Une liberté déjà fortement mise à mal et achevée, en 1963, par la suppression des classes de transmutation, ultimes aménagements linguistiques accordés, jusqu’alors, aux petits francophones de Flandre.

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VI.5. Conclusion : la concentration, remède à la flamandisation ?

Cette phase décisive de l’histoire du Matin qui s’étend de l’immédiat après-guerre au milieu des années soixante apparaît, à l’analyse, comme une période révélatrice quant à son funeste avenir.

Parce que, d’une part, la gazette libérale d’Anvers se voit vite déçue dans ses ambitions nationales. Les mobiles en sont multiples. Primo, les assises financières du Matin se révèlent trop instables en raison du manque à gagner publicitaire et de la baisse du lectorat. Secundo, il y a trop de concurrence entre les organes de presse à ce niveau. Tertio, le public lui-même a choisi une voie minimaliste pour son quotidien, souhaitant en effet qu’il conserve son envergure provinciale et l’enchaînant en conséquence à un rôle de journal d’appoint à l’avenir incertain.

Parce que, d’autre part, la feuille dévouée à la défense de la minorité francophone ressent, au cours de ce bref espace temporel, les premiers effets concrets du processus de flamandisation. Un processus qui lui enlève ses fidèles un à un et, beaucoup plus grave, empêche aussi un renouvellement suffisant du lectorat. Dès lors, atteint dans sa chair par cette douloureuse ponction, sans apport externe de lecteurs potentiels, Le Matin assiste, impuissant, à l’affaiblissement de ses forces vives. Entre-temps, le groupe de Launoit a, certes, accouru à son chevet. Mais le mal est tenace, car il est ancré trop profondément. Afin de redonner des couleurs à la publication fondée par Camille de Cauwer, un seul traitement s’impose, puisque l’union est censée faire la force. Et ce traitement, qui a souvent fait ses preuves, consiste à rassembler les malades qui souffrent de symptômes similaires afin de mettre en pratique une certaine forme de thérapie de groupe. Mais cette thérapeutique passe par une concentration des énergies positives issues de ces patients engagés dans la même galère.

Aussi, Le Matin, La Flandre Libérale et La Métropole s’investissent-ils tous les trois à fond dans cette alliance bizarre réalisée à travers Sobeledip, dans l’espoir que la concentration se révélera, à terme, un remède efficace contre la flamandisation...

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